Thomas, le rêve olympique
A quelques semaines du coup d’envoi des JO de Tokyo 2021, Thomas Martine se prépare déjà pour les prochains Jeux : ceux de 2024 à Paris ! Entraîné par Christian Bauer, meilleur maître d’armes au monde, au Cercle d’Escrime Orléanais, le jeune homme se donne les moyens de ses ambitions. Dans cette interview, il nous parle de son parcours, de son quotidien d’escrimeur maniant le sabre et de son rêve ultime : représenter la France aux Jeux ! En garde ! Prêts ! Allez !
“Le seul et unique rêve qui m’anime tous les jours, c’est le rêve olympique.”
Bonjour Thomas, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Thomas Martine, j’ai 22 ans, je suis originaire de Saint-Denis dans la région parisienne. J’ai déménagé il y a quelques mois pour m’entraîner au Cercle d’Escrime Orléanais. Cela fait maintenant 13 ans que je fais de l’escrime à haut niveau. Je prépare en ce moment les Jeux Olympiques de Paris 2024 et je suis sparring partner de Bolade Apithy et de Sandro Bazadzé, qui vont représenter la France et la Géorgie aux prochains Jeux de Tokyo 2021.
Au niveau scolaire, je suis en licence de psychologie à l’Université de Paris-Diderot. Mais je change de fac l’année prochaine et passe en aménagements de cours à distance car je m’entraîne à Orléans depuis.
J’ai un parcours assez atypique : j’ai démarré par un BTS Bâtiment en alternance mais au bout de deux ans de BTS je me suis rendu compte que ça ne me plaisait pas du tout. J’ai tout de même obtenu mon diplôme mais je me suis remis en question. J’ai pris une année sabbatique pendant laquelle je suis devenu président de mon Club d’Escrime à Charenton. J’ai rencontré des psychologues du sport, des préparateurs mentaux qui m’ont donné le goût de m’intéresser de manière plus précise à la psychologie, c’était une révélation. Je me suis tout naturellement orienté vers la psychologie et aujourd’hui ça me plait beaucoup et j’aimerai bien aller jusqu’au Master voire même le Doctorat.
Comment as-tu démarré l’escrime ?
Souvent, l'escrime est une passion qui se transmet dans la famille notamment de père en fils. Dans mon cas, ce n'était pas le cas, d’autant plus que Saint-Denis n’est pas une ville réputée pour l’escrime mais plutôt pour le foot, le hand ou encore le rugby.
J’étais un gamin un peu hyperactif et c’est ma maman qui m’a inscrit à l’Ecole Municipale des Sports pour canaliser toute cette énergie. C’était le mercredi matin et aprèm et on faisait trois disciplines différentes par trimestre. Lors du 1er trimestre nous avons fait de l’escrime et en y repensant maintenant ça n’avait absolument rien à voir avec ce que je pratique aujourd’hui ! C'était plutôt un délire où on avait des sabres en plastique et on devait juste se taper dessus !
J 'ai plutôt bien accroché à ce “jeu” et j’ai tanné ma mère pendant un an pour qu’elle m’inscrive au club d’escrime de Saint-Denis. Il est tenu par une professeure de français qui s’appelle Martine Bidard, que je salue d’ailleurs ! C’est elle qui m’a donné goût à l’escrime, c’était ma première maître d’armes et je me suis accroché. Je faisais des compétitions, au début j’étais pas très fort et je n’aimais pas ça.
Mais l’une d'entre elles m’a marqué, une compétition départementale, et la toute première que je gagne. Je me souviens, j’avais 10-11 ans et c’est après cette victoire que je me suis dit “C’est ça que je veux faire !”.
Depuis, tous les choix que je fais sont orientés par rapport à l’escrime !
“L’escrime c’est l’art de faire faire à l’adversaire ce qu’on a envie qu’il fasse.”
Qu’est-ce qui t’as plu dans l’escrime ?
Beaucoup de choses. Même si c’est un sport individuel, c’est aussi un sport d’équipe. Si l’on prend l’exemple du sabre qui est l’arme que je pratique, c’est une arme où l’on a besoin du groupe, du collectif pour progresser. Christian Bauer, mon maître d’armes actuel, dit toujours que “l’individualité tire sa force du collectif” et ça dès petit je l’ai ressenti. Il y a un partage intergénérationnel dès le plus jeune âge car l'escrime est un sport où, contrairement au foot, un petit de 11 ans peut faire un match contre un adversaire de 16 ans et les deux pourront s’amuser.
C’est ce que j’ai tout de suite aimé, apprendre des plus grands et ensuite à mon tour partager avec les plus petits. Il y a un aspect très tactique et un aspect physique. L’escrime c’est l’art de faire faire à l’adversaire ce qu’on a envie qu’il fasse, lui donner des fausses informations, lui donner envie d’aller dans une cible... Tout ça c’est super fin, et c’est ce qui a fait que je me suis accroché jusqu’à aujourd’hui !
“L’escrime m'a permis de prendre confiance en moi, de m’affirmer et d’être acteur de ma vie, de ne plus être passif !”
L’escrime et le sport de haut niveau ayant pris beaucoup de place dans ta vie, comment t’es-tu construit en tant qu’homme ?
L’escrime m'a permis de prendre confiance en moi. Pas seulement l’escrime mais le sport en général parce que j’étais assez timide au collège, j’étais un peu l’intello de la classe donc c’était assez compliqué pour moi de me faire des copains et l’escrime c’était un échappatoire. Ca m’a permis de grandir et apporté beaucoup de rigueur: il faut être droit, rigoureux, pontuel, on accepte pas les retards à l'entraînement, on doit répéter un milliard de fois le même geste à l'entraînement donc il y a beaucoup de travail sur la persévérance et l’abnégation. Ça demande beaucoup de résilience parce qu’on peut être super fort à l'entraînement et arriver en compétition et perdre sans savoir pourquoi. Tout ça m’a construit.
Il y a aussi les rencontres, mon professeur d’histoire au lycée (Jean-Paul Aurières, ndlr) nous a emmenés au Chili et ce voyage m'a fait énormément grandir. Suite à ce voyage, nous avons participé à beaucoup de conférences au sujet des peuples Mapuches.
A force de prendre la parole en public, je me suis rendu compte que j’aimais ça et que j'étais à l’aise. Et à cette même période, j’avais de plus en plus confiance en moi et je gagnais également de plus en plus en compétition. Tout ça m’a permis de m’affirmer, de dire ce que je pense, d’être acteur de ma vie et non plus passif : tout ça je le dois à l’escrime !
Ton parcours est inspirant. Que dirais-tu aux personnes justement introverties et qui n’osent pas se révéler ?
Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde, il suffit juste de se dire “J’ai envie de dire un truc, je m’affirme” sans pour autant en faire trop. Juste le fait de sortir de cette réserve, ça peut créer quelque chose en fait.
Peux-tu nous en dire plus sur ta vie d’athlète de haut niveau et d’escrimeur ? Tu restes un jeune comme un autre, comment arrives-tu à concilier ta vie sociale et sportive ?
C’est vrai que c’est assez compliqué et j’ai beaucoup d’amis qui regrettent de ne pas pouvoir me voir assez. Mais mon emploi du temps est chargé: entraînement de 8h à 14h /15h, souvent j’enchaîne avec mes cours et puis lorsque j’ai des trous dans mon emploi du temps, je me repose et je récupère car mes semaines sont épuisantes.
Comme je le disais, j’ai déménagé en février pour faire la préparation olympique de Tokyo 2021 au Cercle d’Escrime Orléanais, et la vie sociale est d’autant plus compliquée. Mais j’ai de la chance d’avoir des amis qui me soutiennent et qui comprennent pourquoi je fais tout ça.
Notre programme marche par blocs de trois semaines, on s'entraîne trois semaines puis on a souvent une semaine de repos. Après ça dépend du calendrier des compétitions. Mais en général, je passe trois semaines à Orléans, une semaine à Paris.
L’escrime et les coéquipiers de mon centre sont ma nouvelle famille, celle que j’ai choisie. Je suis quelqu’un d’hyper fidèle mais en sport de haut niveau on m’a toujours dit que pour progresser, parfois il faut être égoïste. Quand je sens que je ne suis plus en phase avec le groupe et les gens avec qui je travaille, j’ai pas peur de leur dire “Je pense qu’il faut que j’aille ailleurs” et la plupart du temps, les gens comprennent à partir du moment où t’es transparent avec eux.
Je dis ça parce qu’actuellement, le groupe dans lequel je suis, c’est un groupe où chacun est venu pour une raison particulière. C'est très international, il y a deux allemands, un taïwanais, un géorgien et d’autres athlètes d’autres nations qui ne vont pas tarder à arriver.
Tu es maître de ton destin et tu as choisi de venir à Orléans pour certaines valeurs.
Oui et parce qu’on a l'entraîneur le plus titré au monde : il est français, il s’appelle Christian Bauer et c’est une chance de pouvoir s'entraîner avec lui. C’est un monsieur très expérimenté et qui a tout connu dans l’escrime, il est entraîneur depuis quarante ans et il a hissé beaucoup de nations très haut dans l’escrime. Il a toujours des expériences et anecdotes assez incroyables à nous raconter. Dès que je peux, je m’entraîne et passe du temps avec lui. On est dans un environnement sain où tous les athlètes peu importe leur niveau se côtoient et s’entraident. Je discute souvent avec Bolade Apithy, qui est actuellement le numéro 1 français en sabre et on partage les mêmes valeurs. Je profite de tout ce que je peux apprendre car tout est bon à prendre !
Le jeune Thomas de 22 ans a t-il des rêves plein la tête ?
Le seul et unique rêve qui m’anime tous les jours, c’est le rêve olympique. C’est pour ça que je me lève le matin, c’est pour ça que j’ai suivi le coach de Charenton à Orléans. J’ai plein d’envies de voyages aussi. J’ai cette envie de “manger le monde”, et l’escrime est un bon moyen de voyager un peu partout. Donc mes rêves c’est les voyages et les JO de Paris 2024.
J’ai également de plus en plus envie d’entreprendre, même si je ne sais pas dans quoi encore. Ça pourrait être un projet qui couplerait la psychologie, le sport et le sport en entreprise. C’est encore naissant, mais je laisse ces idées mûrir et se concrétiser au gré des rencontres et de mes expériences de vie.
Et dans la continuité de mes études en psychologie, pourquoi pas obtenir mon doctorat !
D’où vient ta détermination ?
Je ne saurais pas exactement te dire mais une chose est sûre c’est que j’ai eu la chance dans ma vie de rencontrer des adultes qui m’ont fait confiance, qui m’ont tiré vers le haut. Que ce soit mes parents avec l’éducation qu’ils m’ont donné qui est vachement libre, ils m’ont jamais rien interdit. Mes parents m’ont toujours dit “tu veux faire un truc ? fais-le, mais fais-le bien !” et ils m’ont toujours soutenu : ils ont toujours dit “Amen” à tout ce que j’ai décidé de faire à partir du moment où ce que je leur proposais était carré et que je savais où j’allais. Quand je leur ai dit que je prenais une année sabbatique parce que je voulais me consacrer pleinement à l’escrime, ils étaient à 100 % derrière moi. Quand je leur ai dit que je voulais reprendre la présidence du club de Charenton parce que sinon le club allait s’écrouler, ils m’ont dit que c’était une lourde responsabilité pour un jeune de 19 ans, que ça allait être compliqué mais ils m’ont suivi, parce qu’ils me suivent partout où je vais !
Après il y a aussi de belles rencontres, comme le professeur M. Aurières et M. Dumarquez, un professeur d’arts plastiques qui a aujourd’hui sa galerie d’art à Paris, la Nouvelle Athènes, ce sont également des personnes très inspirantes pour moi.
Toutes ces personnes, qui ne se connaissent pas forcément entre elles, mais qui ont le même mindset que moi sont le fil rouge qui me tirent vers le haut.
Tu disais que c’était grâce aux rencontres et aussi à l’éducation de ta famille que tu es l’homme “Libre” que tu es aujourd’hui. Qu’est-ce que ça veut dire pour toi être un homme libre ?
Mes parents ne m’ont jamais imposé une manière de faire, ou de penser. Dès le départ on m’a laissé le choix et c’est une chance. Certaines personnes, comme tu dis, auraient eu besoin d’un cadre et moi mon cadre c’est le sport. Le sport m’a toujours cadré et il m’a toujours empêché de faire des conneries parce que j’avais pas le temps en fait, et j’ai toujours pas le temps. Même si on me propose, je peux pas parce que j’ai entraînement le jour même, le lendemain et le surlendemain aussi donc j’ai pas le choix en fait d’être droit.
Pour moi, être un homme libre, c’est être libre de dire ce qu’on pense dans son cercle familial parce que souvent les gens se sentent obligés de faire d’une manière parce que leur famille fait d’une certaine manière: j’ai pas du tout ce problème. Mes parents demain je peux leur dire ce que je veux, du moment que le projet est cohérent, ils vont me suivre et puis même si ça leur paraît pas cohérent ils vont juste me donner leur avis, mais sans me juger, ni me contraindre.
La liberté c’est avant tout la liberté de pouvoir dire et la liberté de pouvoir faire. D'être accepté comme je suis m’a toujours permis d’avancer.
Que t’évoque le slogan FRANCUS “Be Without Equal”, “être sans égal” ?
Cette phrase elle résonne beaucoup en moi. Pour moi, il y a un lien partout, il n’y a pas de hasard et cette phrase me fait penser à la pratique de Ralph Hippolyte parce que son travail c’est l’individualisation de la personne et le fait qu’on est tous différents. Selon lui, on fonctionne tous d’une manière différente et chacun doit faire les choses à sa manière. Je pense qu’il faut être soi-même et que c’est cette différence qui fait qu’on est tous pareils. On est tous pareils parce qu’on est tous différents, on est tous humains, on a tous un vécu, on a tous une culture, on a tous fait des choses totalement différentes.
Il n'y a qu’à regarder les personnes qui font partie de la FRANCUS Family, ils sont tous différents, ils pratiquent et inspirent dans différents sports ou disciplines. C’est une clique hétéroclite ! Tout le monde vient d’horizons différents et ce qui nous rassemble c’est le sport et nos valeurs et c’est en ça que je dis qu’on est tous différents mais qu’on est tous pareils.
Qu’est-ce qu’on te souhaite pour la suite Thomas ?
On me souhaite plein de choses, déjà de réussir prochainement les championnats de France U23 qui auront lieu à Besançon les 3 et 4 juillet. On me souhaite de trouver pas mal de sponsors pour l’année prochaine parce que l’escrime ça reste un sport amateur et pour lequel il est compliqué de concilier études et escrime car j’ai beaucoup de frais liés à cette voie et j’aimerai pouvoir voler de mes propres ailes.
Et surtout, on me souhaite d’aller aux JO 2024 à Paris, je travaille pour et j’aimerai bien que ça paye !