Mehdi Têtard, de Paris à la Nouvelle-Calédonie

Je savais que j’allais devoir redoubler d’effort et aussi galérer pour arriver là où je voulais être

 

FRANCUS : Pourrais-tu te présenter ?

Mehdi Têtard : Mehdi, 34 ans en octobre prochain. Je suis fils de maître nageur, donc j’ai commencé à faire du sport tout petit et à nager avec mon père. Et il faut dire que j’ai un nom de circonstance: “Tetard” (rire).

Très jeune, j’ai dû apprendre à me construire avec ce nom et cette double nationalité, avec le prénom Mehdi qui provient de mes origines maghrébines du côté de ma mère et “Tetard” du côté français de mon père.

Et c’est donc tout naturellement que je me suis lancé dans le sport par la natation. J’ai également pratiqué beaucoup d’arts martiaux. En parallèle, je faisais toujours deux ou trois sports en même temps. J’adore la culture asiatique: je vois la vie avec ce côté martial. 

Mes valeurs au quotidien c’est simple : c’est honnêteté et sincérité. Un bon ami, c’est aussi quelqu’un qui va me taper sur l’épaule et me dire “Mehdi, là tu déconnes”. Me dire mes qualités, mes défauts. 

J’ai également pratiqué le foot à l'âge de 13 ans, j’ai eu le choix de partir au centre de formation de Saint-Etienne mais mes parents n’étaient pas du même avis et préféraient que je poursuive mes études. Il faut remettre la situation dans le contexte, on était en 1998, le foot à cette époque pour nous c’était un truc de fou. Cette décision a donc été difficile à encaisser car c’était vraiment un rêve de petit garçon. 
A côté de ça, l’école ça me plaisait de moins en moins et j’étais hyperactif pour pouvoir rester sur une chaise. J’avais toujours la moyenne ou un peu plus en faisant que le strict minimum, j’étais un gros fainéant. Seul le sport m’intéressait, je préférais m’amuser, faire un peu le pitre en classe. Et c’est arrivé en seconde qu’on me donne la possibilité de m’orienter et je choisis  l'IEMF (Institut Européen des Métiers de la Forme). Je suis motivé, j’ai des super résultats pour une fois j’ai l’impression de faire ce qu’il me plaît. Sauf qu’un matin, j’arrive à l’école et le portail est fermé avec un mot sur la porte expliquant que l’école ferme ses portes ! Je pouvais poursuivre mon cursus à Lyon ou à Rennes mais mes parents n'avaient pas les moyens de m’y envoyer. Et c’est ainsi que je commence à travailler pour payer l’école. Au même moment, mes parents se séparent et c’est un peu une descente aux enfers. Naît en moi la responsabilité d’assumer et de contribuer à la vie du foyer pour ma maman et mes deux petites sœurs. Entre 16 et  21 ans, je travaille et je commence à traîner un peu dans la rue et plus le temps passait, moins je croyais en moi et moins je me sentais considéré parce que je faisais des “petits boulots”. Je savais que j’allais devoir redoubler d’effort et aussi galérer pour arriver là où je voulais être. 

Les années s’enchaînent, je bosse partout et nulle part, j’enchaîne les petits boulots et le chômage par intermittence pour aider ma famille et rassurer ma mère. Mais je suis jeune et un peu perdu,  je me lève tard et je sors jusqu’au petit matin. 

 

Je comprends que c’est lorsque je vais fournir un effort, que je vais avoir ce que je veux et je retrouve donc ce goût du travail. Et c’est à ce moment que je fais l’une des plus belles rencontres de ma vie. Celle de Christelle !

 

En parallèle, je m’inscris à un concours de la Mairie de Paris pour être gardien de stade. J’obtiens mon concours, et suis rassuré d’avoir trouvé un emploi « plus stable ». 

Je fais un an comme contractuel puis deviens titulaire à la Mairie de Paris. J’ai 21 ans et je suis dans mon uniforme bleu, les gens ne me regardent pas très bien et je suis conscient de ce que je reflète de l’extérieur.

Je continue le sport dans cette même enceinte (Centre sportif de la Plaine, ndlr) où je m’initie à la boxe anglaise. Et c’est une révélation, je retrouve ce goût de l’effort et je commence à faire de la compétition.  Je comprends que c’est lorsque je vais fournir un effort, que je vais avoir ce que je veux et je retrouve donc ce goût du travail. Et c’est à ce moment que je fais l’une des plus belles rencontres de ma vie. Celle de Christelle (Christelle Javelier ndlr). 
Au début de notre rencontre je lui mens, je lui dis que je suis architecte. Évidemment, elle  me crame au bout d’une semaine sans me le dire. A un moment, je lui révèle la vérité et elle m’explique qu’elle s’en fout de mon métier. Et c’est elle qui me motive et me pousse à passer le diplôme de maître nageur. Après ça, tout s’enchaîne : j’obtiens mon diplôme de coach sportif et je continue à travailler dans les grandes salles parisiennes.

FRANCUS : Pourquoi as-tu menti sur qui tu étais ? 

MT. Parce que j’avais honte ! Aujourd’hui j’en ai plus du tout honte et mon passé m’a construit. Quand t’es habillé en bleu et que tu pousses une serpillière, les gens te prennent pour un gogole et pensent que t’es écervelé, comme quand t’es caissier au Franprix, ou que tu sers les frites au McDo. C’est pour ça que j’ai menti. Je voulais éviter les préjugés.

 

FRANCUS : Qu’as-tu fait après la Mairie de Paris ?

MT : Chance et opportunité ! Un de mes amis Arnaud ( Mugen Coach) avec lequel je me suis formé pour devenir maître nageur m’appelle pour une opportunité dans la prestigieuse salle de sport parisienne Klay dans le 2ème arrondissement. J’avais l’avantage d’avoir la triple casquette : maître nageur, coach de fitness et coach sportif. J’intègre Klay et j’y passe 3 belles années. Je me constitue un beau réseau : la chanteuse Tal, Olivier Rousteing, le PDG de Canal + et c’est à ce moment que je démarre mon compte Instagram et crée du contenu autour du sport et mon quotidien de coach. J’ai même des émiratis qui m’appellent parce qu’ils ont entendu parler de moi et qu’ils veulent que je les coache : tout va très vite ! 

Malheureusement je quitte Klay après un désaccord avec la direction.

 J’aime vraiment avoir le contact avec les gens et surtout avoir un impact sur eux.

 

FRANCUS : T’étais heureux à ce moment-là ? Qu’est-ce qui te plaisait dans le milieu de la remise en forme et du fitness ?

MT : J’adore ce milieu moi ! J’avais vraiment trouvé ma voie. J’aime vraiment avoir le contact avec les gens et surtout avoir un impact sur eux. J’ai eu des clientes qui ont obtenu des postes trois ou quatre fois au-dessus de ce qu’elles avaient avant que je les coache. A chaque fois, elles m’envoient des messages de remerciements en me disant que c’est grâce à moi, mais je leur réponds que c’est avant tout grâce à elle. Je suis super fier d’avoir pu déclencher un déclic qui va au-delà du sport chez certaines personnes.
Pour moi un bon coach, c’est quelqu’un qui sait écouter mais qui sait aussi cerner la personne et lui dire ce qu’elle doit entendre au bon moment. J’essaie de capter ces émotions. Comme un psychologue, tu dois écouter les gens, les cerner, et essayer de les aider à aller plus loin que le sport.

 

FRANCUS : Comment est-ce que tu t’es construit en tant qu’homme ? Comment pourrais-tu te définir ?

MT : Je suis pas fini hein ! Aujourd’hui, j’ai cette rage de vaincre, j’ai envie de tout « casser » ! J'ai vraiment la dalle pour moi, mais aussi pour ma famille. Je veux réussir, pour être bien dans ma vie, pour aider ma famille. Mon but ultime, ce serait d’avoir une grande maison pour accueillir toute ma famille à tout moment. Et surtout créer de la valeur et de l’emploi autour de moi et à mon tour donner la chance et l’opportunité à d’autres. C’est aussi pour ça que j’ai quitté Paris, pour fuir cette ambiance “nombriliste” et donner un nouveau sens à ma vie. 

 

FRANCUS : Comment voudrais-tu donner plus de sens à ta vie…

MT : Casser les codes ! C’est ce que veux faire !
C’est difficile de placer des mots à ce sujet… Je ne supporte plus les préjugés ni l’amplification médiatique négative des quartiers et des cités. Il y a des gens bons et mauvais de partout et que l’on fasse les mêmes amalgames depuis 50 ans ça me gonfle éperdument. C’est devenu insupportable : me faire suivre dans un Monoprix quand j’ai 33 ans. Au bout d’un moment t’en as marre, tu t’énerves devant le vigile et t’as les gens à côté qui regardent et se disent “Encore un rebeu, qui fout le bordel” et je les comprends. Mais en fin de compte, si tu te mets dans ma peau et que tous les jours t’es suivi, tu pètes un plomb.
C’est pour ça que je suis heureux en Nouvelle-Calédonie parce que je passe enfin incognito : les gens me prennent pour un Kanak ! Ça fait du bien, c’est la première fois de ma vie ! 
Je me sens libre de rentrer n’importe où et de ne pas être suivi, de ne pas être jugé !

 Pour moi la liberté, c’est déjà celle de penser et d’être.

 

FRANCUS : Qu’est ce que c’est d’être libre pour toi ?

MT : Pour moi la liberté, c’est déjà celle de penser et d’être. La liberté de penser pour moi, c’est d’avoir ses idées et si elles sont différentes de celles des autres, on doit les respecter.
La liberté d’être, pour moi c’est être qui on veut sans préjugés. Par exemple, j’écoute du rap français avec plein d’insultes et tout. C’est pas pour ça que je ne pourrais pas avoir une discussion construite sur la politique, ou sur plein d’autres sujets. Je pense qu’il y a une part de dérision et de “fake” dans cette musique qui fait que ça me plaît parce que c’est un peu mon histoire et des choses qui me parlent.
En troisième, je pense que je mettrais la liberté financière parce que dans ce monde, quand tu l’as, tu fais ce que tu veux !

 

FRANCUS : C’est pour retrouver ces trois piliers que t’as quitté la métropole ?

MT : En Nouvelle-Calédonie on a l’opportunité de rejoindre la famille de Christelle et on va pouvoir se construire une petite vie tranquille.
J’ai toujours vécu à Paris et je n'ai jamais eu aucun recul sur ce qu’est la vie ailleurs qu’à Paris. Et c’est pendant le confinement en allant vivre à la campagne en province que je me suis rendu compte que la vie était calme ailleurs et que les gens sont plus cool entre eux. 
Ici en Nouvelle-Calédonie, je retrouve la même chose, je kiffe pouvoir parler à n’importe qui, dire bonjour à tout le monde. 

 

FRANCUS : Pour terminer, qu’est-ce que tu pourrais donner comme conseil pour inspirer ceux qui te suivent et ceux qui vont lire cette interview ? 

MT : L’important c’est de croire en soi, peu importe ce que les gens te disent. Beaucoup essaieront de te rabaisser, de te faire croire que t’es pas à ta place. Par exemple, quand j’ai commencé à travailler pour une salle, beaucoup de mes collègues m’ont fait des remarques sur le fait que j’étais pas assez musclé. Alors qu’au final, ça m’a permis de me construire une clientèle qui me ressemble avec des gens qui voulaient juste être bien dans leur peau. Faut s’accepter comme on est, on ne peut pas ressembler à tout le monde ! 
Je pense aussi qu’on a toujours une petite étoile au-dessus de soi, ou une personne qui croit en nous et cette personne il faut la garder près de soi. Même si on fait les choses par soi-même, il faut être accompagné des personnes qui croient en toi pour te permettre de franchir ce cap.
Faut pas trop écouter les autres non plus. Je pense que l’humain il te dira plus de choses négatives que positives… C’est dommage, mais c’est comme ça. Et du coup, il faut toujours écouter les gens qui te veulent du bien.

 

FRANCUS : Que peut-on te souhaiter pour la suite ?

MT : D’être heureux et libre !
Ce confinement et le couvre-feu, ça m’a fait beaucoup de mal. Sans rentrer dans des considérations politiques, je pense que les libertés sont beaucoup plus faciles à enlever qu’à gagner. 

 

FRANCUS : Tu veux ajouter autre chose ?

MT : A part ça, on est hyper contents avec Christelle d’avoir réussi à fédérer et construire une activité qu’on aurait pas imaginé avant. Avec le confinement, on a monté notre studio (Activre Guide Studio) en ligne et aujourd’hui on en vit et on a réussi à passer cette crise sans recevoir d’argent de la part de l’État. Au début, on faisait des live à titre gratuit comme on pensait pas que la crise durerait si longtemps. Depuis, on est indépendants financièrement, beaucoup de gens adhèrent à nos méthodes, donc on est super heureux ! Merci !